J'ai voulu revoir… Philippeville !
(Par Jacky Colatrella)
Mercredi 1er Juin 2005 vers 16 heures aéroport de Paris Orly.
En compagnie de mon épouse Josette, de mon fils Thierry ainsi que de ma belle fille Isabelle je me dirige vers la salle d'embarquement où le vol N°AH 1145 à destination d'ANNABA est annoncé.
Je consulte l'écran cathodique sur lequel la mention : Prévu à l'heure est affichée.
Quelques instants plus tard, une hôtesse, d'une voie suave, invite les passagers à embarquer.
Il est alors 16 heures 35 et dans vingt minutes ce sera le départ.
16 heures 55 l'avion s'élève dans le ciel Parisien.
18 heures 30, heure locale, l'appareil se pose sur la piste de l'aéroport d'ANNABA non sans avoir survolé les magnifiques plages qui se déroulent comme un tapis brodé d'or et d'argent.
La passerelle se met en place, la porte s'ouvre et c'est la première bouffée d'air Algérien.
La température extérieure est de 29 degrés centigrades ; rien d'étonnant car nous sommes au mois de juin.
Nous nous dirigeons vers le hall des arrivées et il faut nous armer d'une bonne dose de patience car un certain nombre de formalités nous attendent.
Il nous faut tout d'abord remplir les fiches de police en vue du contrôle des passeports et visas puis c'est au tour de la déclaration des devises et objets de valeur tel que les caméscopes, appareils photos etc. …enfin pour terminer nous devons nous livrer au contrôle des bagages avec fouille au corps.
A la sortie de l'aérogare NOURDINE est là pour nous accueillir.
NOURDINE est un Algérien né en France de mère Allemande et de père Algérien ; il est responsable de l'audit interne d'une importante firme Algérienne. C'est un ami de Thierry. Ils se sont connus à ALGER dans le cadre de relations professionnelles et ont projeté ce voyage auquel je n'avais jamais songé.
Nous prenons place dans sa voiture et nous dirigeons vers l'hôtel Rym El Djamil situé sur la corniche du cap de garde à ANNABA.
De nos chambres nous avons une vue magnifique sur la mer avec comme toile de fond ANNABA enveloppée par un léger voile de brume.
NOURDINE nous a provisoirement quitté pour nous permettre de faire un brin de toilette avant d'aller nous restaurer sur la terrasse de l'hôtel où une première brochette party nous attend.
Un peu plus tard NOURDINE nous rejoint en compagnie de son épouse PAPICHA, de ses deux garçons ainsi que de son papa.
La brochette party continue.
Le temps passe et les discussions vont bon train. Il faut nous quitter car la nuit sera courte… demain de bonne heure NOURDINE doit nous conduire à SKIKDA.
Jeudi 2 juin vers 8 heures, après avoir pris notre petit déjeuner, nous retrouvons NOURDINE et c'est le départ tant attendu.
Notre allure est modérée de manière à nous permettre de mieux contempler le paysage qui défile, malgré cela nos yeux ne sont pas suffisamment grand pour tout capter ; ainsi nous avalons les 101 kilomètres qui séparent ANNABA de SKIKDA en à peu près deux heures.
En arrivant aux portes de SKIKDA, moi qui connaissais bien PHILIPPEVILLE, j'ai du mal à me repérer.
En l'espace de 50 ans de nombreux bâtiments sont sortis de terre. Je commence à retrouver mes marques seulement au niveau des allées Barrot. Oui !... les palmiers sont toujours là mais la circulation s'est profondément intensifiée. Nous remontons la rue Nationale puis à hauteur de l'église (qui soit dit en passant a été démolie) nous obliquons vers la droite en direction de l'hôpital.
C'est là que se trouve l'hôtel El Salem où nous devrons passer la nuit.
Nous prenons très vite possession de nos chambres même si la vue nous incite à nous attarder au balcon… car il va falloir faire très vite si nous voulons voir tout ce que nous avons planifié.
Il est à peu près 10 heures 30 est notre première étape doit nous conduire rue Valée car c'est la rue de mon enfance, celle où mes parents Edith et Laurent avaient leur salon de coiffure ainsi que l'appartement que nous habitions.
Nous quittons l'hôtel, à pied bien sûr, empruntons la rue du 62 ème de ligne,traversons la rue Georges Clemenceau et poursuivons notre ascension pour nous rendre dans la rue Valée en laissant, sur notre passage, les rues Galbois et de Constantine.
Je revois, dans ma mémoire seulement, les commerçants de l'époque : Le boulanger Falzone, l'épicerie de Madame Charles, le magasin de Missud, la boucherie Farrugia et soudain il faut plonger dans la réalité : au N° 40 de la rue Valée le salon de coiffure de mes parents est devenu une poissonnerie.
Soudain j'entends Thierry prononcer ces mots : " Non … ce n'est pas possible ! ".
Et pourtant il faut se rendre à l'évidence avec cependant un petit pincement au cœur.
Fini les belles Philippevilloises assises confortablement dans les pullmans de l'époque la tête remplie de bigoudis.
S'il est d'usage d'associer, en langage argotique, le coiffeur au merlan ce serait un clin d'œil de la vie. Il vaut mieux le prendre avec humour … c'est bien ce qu'aurait dit mon père Laurent car Dieu sait s'il en avait lui, de l'humour. Ceux qui l'ont connu ne me démentiront certainement pas.
C'est alors que nous faisons la connaissance du propriétaire de la poissonnerie.
Un Algérien né en France d'une mère Lorraine et d'un père Algérien et s'exprimant bien sûr parfaitement en Français.
Le contact s'établit aussitôt, très amical, et cet homme, d'une quarantaine d'années, nous propose de nous faire pénétrer dans l'immeuble où j'ai vécu durant toute ma jeunesse.
Il ouvre fièrement la porte de l'immeuble et notre petit groupe lui emboîte aussitôt le pas.
Nous gravissons les marches qui conduisent à l'étage et là … surprise ; le passage qui aurait du nous conduire à mon ancien appartement est muré.
L'homme nous explique alors que l'immeuble a été scindé en deux parties et que l'une d'entre elle a été vendu à un laboratoire ce qui a justifié cet ouvrage.
Il nous propose alors d'entrer dans l'appartement de sa maman afin de nous permettre de voir, d'une des fenêtres, mon ancien logement.
Nous continuons notre ascension jusqu'à la terrasse sur laquelle je me rendais souvent pour contempler la ville … et au loin l'île Srigina.
Devant nous de nouvelles constructions, pas toujours très esthétiques, se sont rajoutées aux immeubles déjà existants et sur chaque toit, balcons ou fenêtres une floraison de paraboles : les Algériens, nous a t'on dit, regardent beaucoup nos chaînes télévisées.
Ce retour aux sources se termine et nous regagnions la rue Valée afin de poursuivre notre pèlerinage à travers la ville.
L'annonce de notre visite s'est très vite répandue et des “anciens Philippevillois”, d'origine Algérienne, sont venus à notre rencontre.
Surprise !... Certain d'entre eux connaissaient bien mes parents et se souvenaient également de tous les commerçants de cette époque. Nous avons évoqué ensemble tous ces souvenirs avec grand plaisir et beaucoup d'émotion. De tous jeunes gens, qui n'avaient pas connu cette période de ma vie, se sont alors joint à nous et ont écouté avec beaucoup d'intérêt les commentaires qui allaient bon train.
Après avoir parcouru les rues avoisinantes (rue Bélisaire, rue Antoine Bruno, rue Gambetta …) nous récupérons la voiture de Nourdine pour nous diriger vers STORA pour un déjeuner bien mérité.
La corniche est toujours aussi belle mais le Poker d'as plage tenu par Kikie et P'tit Louis ainsi que le casino bâti sur pilotis ne sont plus là !... Il y a d'autres constructions … quel dommage !
STORA a également beaucoup changé. Un immeuble de plusieurs étages a été érigé à la place de celui dans lequel se trouvait le service des douanes. Une jolie promenade agrémentée d'une rambarde de couleurs bleue et blanche longe désormais la plage. Un établissement avec une grande terrasse a été construit entre le port de pêche et la voûte romaine, juste devant l'ancien restaurant de Michel Torrente, ce qui a nécessité la création d'une route supplémentaire pour accéder aux anciennes usines de sardines.
Nous prenons notre repas sous les arcades de l'hôtel Stora dirigé par Monsieur Ali Khenchoul. Il s'agit d'un établissement assez récent érigé, semble t'il, à l'emplacement de l'ancien bar François.
Il est 15 heures nous reprenons la route pour nous rendre au cimetière.
En pénétrant dans l'enceinte du lieu où reposent un grand nombre de Philippevillois nous sommes surpris et non moins choqué de constater l'état d'abandon dans lequel il se trouve.
Ronces et herbes folles ont en effet envahi le domaine. Certaines tombes sont particulièrement abîmées. Des chiens errants se promènent en toute quiétude…
Nous nous attardons devant la chapelle familiale puis quittons ses lieux.
Retour vers STORA où un succulent repas nous attend.
Au menu :
- Cigales
- et crevettes
Un vrai délice…
A la fin de ce copieux dîner Ali, en bon patron qui se respecte, nous rejoint avec entre ses mains quelques photos anciennes de STORA et sa région. Soudain sur l'une d'entre elle mon regard s'attarde et mes yeux se font plus perçants. M'adressant alors à Ali je lui demande quel numéro minéralogique est inscrit sur la plaque arrière de la 4 CV qui circulait à ce moment précis, vraisemblablement en 1952, lorsque le photographe a déclanché son appareil ? Ali se rapproche du cliché et m'annonce : 877 ; les deux sept sans hésitation mais pour le huit je n'en suis pas certain . J'avais, moi également, bien relevé ce numéro 877. Je venais de découvrir la voiture que mon père possédait dans les années cinquante. Aussitôt Ali brandissant la photo s'écrit : Cette photo est désormais la votre : je ne peux pas vous laisser repartir en France en la conservant car j'aurais ça sur la conscience . Aujourd'hui je me demande encore qui conduisait la 4 CV au moment où la photo a été prise ; s'agissait il de mon père ou bien tout simplement de moi !
Un dernier coup d'œil sur la baie illuminée de STORA puis direction l'hôtel El Salem.
Vendredi 3 juin ; après un ultime tour de ville nous prenons la direction de Jeanne d'Arc.
Jusqu'au tunnel le changement n'est pas notable. Soudain, sur notre gauche, le complexe pétrochimique s'impose à notre vue et barre de ce fait la route du bord de mer que nous empruntions autrefois. Il nous faut alors contourner cet important ensemble pour aboutir un peu avant la piscine de Jeanne d'Arc. Quel dommage … !
La piscine est en chantier car le temps a fait son œuvre. Le plongeoir est rouillé, le bassin vidé de son eau offre au grand jour ses lignes de fond, la piste de danse n'est plus ce qu'elle était…
Nous poursuivons notre route en direction des platanes. Sur notre gauche deux bateaux échoués puis un peu plus loin sur notre droite un camp militaire … je reconnais le camp Péhaut…
Des constructions nouvelles bordent la route qui ne présente plus aucun intérêt. Nous décidons alors de rebrousser chemin et de rejoindre ANNABA pour y retrouver la famille de NOURDINE.
Après un court arrêt à JEMMAPES nous arrivons à ANNABA où PAPICHA nous attend avec ses deux garçons.
NOURDINE nous conduit alors dans une des gargotes renommée de la ville, chez " COLOMBO ", pour y savourer de délicieuses brochettes.
Après un tour de ville et une promenade sur l'incontournable cours Bertania , aujourd'hui cours de la révolution, nous rendons visite aux parents de NOURDINE qui ont eu la gentillesse de nous préparer un succulent couscous.
Samedi 4 juin :
NOURDINE et son épouse PAPICHA ont élaboré à notre intention un programme digne d'une véritable agence de voyages.
Le boulevard du front de mer, la Kasbah, la place d'arme, la plage saint Cloud, la plage Chapuis, la plage de la Caroube, le phare du Cap de Garde dans sa majesté séculaire.
Direction Bugeaud, aujourd'hui Seraïdi, hameau ancestral au panorama privilégié.
La température a perdu quelques degrés centigrades et l'air est plus vif.
Dommage, au loin, ANNABA est dans la brume…
Après un léger déjeuner nous reprenons la route vers HIPPONE pour répondre à l'invitation des parents de PAPICHA.
La villa est splendide et l'accueil chaleureux. Nous apprécions les petits gâteaux et le thé à la menthe.
Mais une autre surprise nous attend : NOURDINE et PAPICHA ont organisé à notre intention, à la veille de notre départ, un dîner au restaurant MESK ELLIL dirigé par l'un des frères de PAPICHA.
Un goût ! Une saveur ! Des traditions ! Et toute une culture !!!
C'est notre dernière nuit en terre Algérienne…
Dimanche 5 juin :
NOURDINE est à son travail car en Algérie le dimanche n'est pas férié. C'est donc son chauffeur qui nous conduit à l'aéroport d'ANNABA.
Notre séjour se termine. L'avion d'air Algérie survole une nouvelle fois ce chapelet de plages qui s'éloigne au fur et à mesure que nous prenons de l'altitude.
J'ai l'impression d'avoir assisté à un film de cinéma.
Il va falloir désormais remettre un peu d'ordre dans tout ça !...
Jacky Colatrella
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